Etonnant article de La Ligue des Droits de l'Homme de Toulon, particulièrement en ce moment.
Alors que les peuples arabo-musulmans s'agitent, s'insurgent, se révoltent, le monde entier, nous tous, nous les regardons, les observons, ne sachant pas ce qu'il va advenir de ces velleités populaires.
Il faut dire qu'avant ça, ce qu'ils nous ont donné à voir jusqu'alors, c'étaient des foules grouillantes et menaçantes, dévalant les rues, hurlant et vociférant, dès que quelqu'un, en Europe, a fait mine d'ironiser sur le Coran ou sur Mahomet. On ne les a guère vu manifester calmement, dignement, pour s'élever contre les massacres qui ont été commis tout au long de ces dernières années, au nom de l'islam.
Et donc, l'on peut se demander quels choix vont-ils faire, vers quel destin, vers quel modèle vont-ils basculer :
* celui de l'homme primitif - "furieux" irrécupérable, celui qui sans vergogne ne craindra pas de sortir un couteau pour tout argument, de traiter la femme comme un être inférieur ou un animal, de considérer les autres religions comme broutille, qui à l'extrême se fera "sauter" dans un bus parmi femmes et enfants, ou se dirigera tout droit dans un autre World Trade Center ?
* ou l'occidental évolué : celui avec qui il sera agréable de dialoguer, d'échanger, de se lier d'amitié, dans le respect de l'autre, de la liberté de chacun, sans craindre une réaction caricaturalement épidermique de susceptibilité et d'"humiliation" ?
Sauront-t-ils devenir AIMABLES ? Au sens premier du terme : "dignes d'être aimés" ?
Ci-dessous l'article dans son entier mais vous pouvez le retrouver sur le site de la LDH Toulon.
le regard colonial de l’École psychiatrique d’Alger
article de la rubrique les deux rives de la Méditerranée
les « populations » de l’Algérie coloniale
date de publication : jeudi 24 février 2005
Pendant un demi-siècle, les psychiatres de l’École d’Alger ont placé "l’indigène nord-africain" à mi-chemin entre l’homme primitif et l’occidental évolué. Leur thèse était que l’indigène, étant dépourvu de lobe préfrontal, est dépourvu de morale, d’intelligence abstraite et de personnalité.
Les schémas véhiculés dans le discours psychiatrique de cette époque ne continuent-ils pas à modeler notre rapport aux Algériens et originaires d’Algérie ?
Le premier congrès de la Société Franco-Algérienne de Psychiatrie s’est déroulé à Paris en octobre 2003 [1]. L’un des ateliers, organisé par le Professeur Marie-Rose Moro (hôpital Avicenne, AP-HP), avait pour intitulé La psychiatrie coloniale en Algérie. En voici la présentation :
L’histoire de la psychiatrie en Algérie est marquée par le passage des psychiatres coloniaux qui font école autour du professeur Antoine Porot (1876-1965), développant la théorie du primitivisme. Généralisant à partir d’a-priori sur le "fatalisme", le "puérilisme mental", l’absence d’"appétit scientifique", l’"immodération", la "suggestibilité", la soumission aux "instincts" de ce "bloc informe de primitifs profondément ignorant et crédules pour la plupart" (Porot, 1918) qu’étaient censés être les "indigènes nord-africains", une théorie est ainsi élaborée sur le fonctionnement de ce peuple colonisé. Cette théorie, non seulement ne prend pas en compte le fait colonial avec toutes ses implications dans les rapports entre colonisés et colonisateurs, mais surtout vient justifier l’ordre colonial, c’est à dire la domination d’un peuple par un autre, par la "preuve scientifique" d’une supériorité d’un peuple sur un autre. Il y a le constat d’une différence, mais qui mène à des interprétations basées sur une vision méprisante de l’autre ; la psychiatrie se met au service du pouvoir colonial.
Parallèlement, les institutions de soins psychiatriques sont mises en place sur un modèle défendu par le professeur Antoine Porot, permettant de mettre fin au transfert de malades dans les asiles de la métropole. Ainsi, en 1938 est inauguré le premier hôpital psychiatrique à Blida-Joinville. C’est dans cet établissement que Frantz Fanon, psychiatre français originaire de la Martinique, viendra exercer en tant que chef de service et deviendra un violent opposant de cette "école d’Alger", laissant son nom à l’hôpital et la possibilité d’un autre discours.
Chez les psychiatres français, cette histoire est méconnue, voire inconnue, mais les schémas véhiculés dans le discours psychiatrique de cette époque ne continuent-ils pas à modeler notre rapport aux Algériens et originaires d’Algérie ?
Antoine Porot et l’École d’Alger
En 1912, le Congrès des Aliénistes et Neurologistes de France s’est tenu à Tunis. Consacré à l’assistance aux aliénés des colonies, ce congrès peut être considéré comme fondateur d’une psychiatrie coloniale ; il recommande notamment la nécessité de formation de psychiatres coloniaux civils et militaires, ainsi que l’arrêt du transport des aliénés des colonies dans les asiles français (comme c’était le cas jusqu’alors).
L’École d’Alger se consacra à l’étude de la "mentalité indigène" pour en comprendre la pathologie et promouvoir une action efficace et rapide. Antoine Porot fut le fondateur et chef de file de l’École algéroise de psychiatrie ; il formera une génération de psychiatres.
En 1918, il publie ses Notes de psychiatrie Musulmane [2]. La thèse, très simple, peut se résumer ainsi : « Hâbleur, menteur, voleur et fainéant le nord-africain musulman se définit comme un débile hystérique, sujet de surcroît, à des impulsions homicides imprévisibles. » Pour Porot, le Maghrébin est incapable d’assumer des activités supérieures de nature morale et intellectuelle.
À partir des années 30, dépassant le stade descriptif, l’École d’Alger fournit une base scientifique à ses conceptions.
En 1932, Porot défend la thèse de « l’impulsivité criminelle chez les Algériens » [3]. « L’indigène nord-africain, dont le cortex cérébal est peu évolué, est un être primitif dont la vie essentiellement végétative et instinctive est surtout réglée par le diencéphale » [4]. « L’Algérien n’a pas de cortex, ou, pour être plus précis, il est dominé, comme chez les vertébrés inférieurs, par l’activité du diencéphale » [5].
L’indigène maghrébin est situé à mi-chemin entre l’homme primitif et l’occidental évolué. Après avoir introduit le concept de "primitivisme", les auteurs tentent de lui donner une assise neurologique : il s’expliquerait par une disposition particulière de l’architectonie du cerveau avec prédominance des fonctions diencéphaliques. La mentalité nord-africaine serait donc structurellement différente de la mentalité européenne.
Ces conceptions rejoignent les thèses de l’historiographie coloniale pour qui l’Algérien, plus généralement le Maghrébin, représente « parmi les races blanches méditerranéennes [...] le traînard resté loin en arrière » [6] et fait partie « des races condamnées à s’éteindre » [7].
Frantz Fanon
Il faut souligner l’absence dans les travaux de l’École d’Alger de la moindre référence au milieu socio-culturel. Ce qui permettait de passer sous silence les profonds bouleversements que la conquête coloniale a entraînés dans la société algérienne, et de justifier a posteriori la colonisation.
En 1953, quand Frantz Fanon est nommé médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Blida, la doctrine régnante en psychopathologie est toujours le "primitivisme", analyse à fondement raciste constatant un prétendu "développement psychique primitif" de ceux qu’il était convenu d’appeler les "Français Musulmans" en Algérie.
Le jeune psychiatre martiniquais va bousculer ce discours pseudo-scientifique en mettant l’accent, au contraire, sur les effets produits dans les consciences par la situation coloniale et la dépersonnalisation qu’elle entraîne. Le racisme biologique a cédé la place, analyse-t-il, à un racisme culturel. Ce n’est plus la couleur de la peau ou la forme du nez qui sont stigmatisées, mais « une certaine forme d’exister ». Tout au long de son œuvre Fanon [8] va s’attacher à donner une autre image de l’homme colonisé, celle d’un homme infantilisé, opprimé, rejeté, déshumanisé, acculturé, aliéné ... Le projet délibéré des colons et des pouvoirs publics est, selon Fanon, de figer la société indigène dans des structures archaïques dont l’absence d’évolutivité serait le meilleur garant de la domination française.
Son engagement aux côtés des Algériens qui luttaient pour leur indépendance provoqua son expulsion vers la Tunisie où il poursuivit son activité médicale et politique. Il devait décéder des suites d’une leucémie en 1961, à l’âge de 36 ans.
En métropole ... [9]
Les thèses de l’École psychiatrique d’Alger se sont répandues des deux côtés de la Méditerranée. C’est ainsi que l’on peut lire les articles suivants dans la première édition (1952) du Manuel alphabétique de psychiatrie [10].
Noirs : « Les indigènes de l’Afrique noire se rapprochent dans une large mesure de la mentalité primitive. Chez eux les besoins physiques (nutrition, sexualité) prennent une place de tout premier plan ; la vivacité de leurs émotions et leur courte durée, l’indigence de leur activité intellectuelle, leur font vivre surtout le présent comme des enfants ».
L’auteur de ces articles, lui-même élève de Porot, Henri Aubin, évoque leur « comportement explosif et chaotique », les « fragiles liens logiques » de leur idéation, le faible travail du « psychisme supérieur »...
Indigènes Nord-Africains : « [...] Par manque de curiosité intellectuelle, la crédulité et la suggestibilité atteignent un degré très élevé [...]. » Après avoir souligné leur potentiel meurtrier, Aubin ajoute « Le même fatalisme aggrave l’inappétence native des non-civilisés pour le travail, leur aboulie, leurs caprices, leur impulsivité », soulignant là encore « le manque de soin et de logique dans les activités professionnelles, la tendance au mensonge, à l’insolence [...]. »
Le Primitivisme est rapporté aux « peuplades inférieures », s’opposant à la « mentalité civilisée ». On lit encore sous la plume d’Aubin « la mentalité du primitif est surtout le reflet de son diencéphale alors que la civilisation se mesure à l’affranchissement de ce domaine et à l’utilisation croissante du cerveau antérieur. »
Dans la quatrième édition, remaniée, du Manuel alphabétique de psychiatrie, parue en 1969, les articles précédents sont encore inchangés [11]. A quelle date ont-ils été définitivement réécrits, nous l’ignorons.
Notes
[1] Le premier congrès de la SFAP s’est déroulé le 3 et 4 octobre 2003 à l’Hôpital Européen Georges Pompidou à Paris. Cette rencontre présidée par les professeurs Henri Loo, Farid Kacha et Frédéric Rouillon, a été organisée avec les communautés médicales algérienne et française autour du problème des états post-traumatiques liés à la guerre d’Algérie et des phénomènes complexes de la mémoire post-traumatique.
[2] Antoine Porot - Notes de psychiatrie musulmane - Annales medico-psychologiques, 1918, 74, 377-384.
[3] Antoine Porot et C. Arrii - L’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien ; ses facteurs - Annales médico-psychologiques, 1932, 90 : 588-611.
[4] Intervention au congrès des aliénistes et neurologistes de langue française - Bruxelles, 1935.
[5] Antoine Porot et Jean Sutter - Le primitivisme des indigènes nord-africains ; ses incidences en pathologie mentale - Sud médical et chirurgical, 15 avril 1939.
[6] Emile-Félix Gautier, Les siècles obscurs du Maghreb, éd. Payot 1937 - cité dans D’une rive à l’autre, de Gilles Manceron et Hassan Remaoun, éd Syros, 1993, page 45.
[7] Gustave Mercier, Histoire de l’établissement installation des Arabes dans l’Afrique septentrionale, Paris, 1875.
[8] À propos de Frantz Fanon, lire la page qui lui est consacrée sur ce site.
[9] Ce paragraphe est extrait de l’ouvrage Petits moments d’histoire de la psychiatrie en France, de Patrick Clervoy et Maurice Corcos, éd. EDK, Paris 2005.
Nous remercions le docteur Patrick Clervoy, chef du service de psychiatrie de l’Hôpital d’Instruction des Armées Sainte-Anne de Toulon, de nous avoir permis de le reproduire.
[10] Manuel alphabétique de psychiatrie, sous la direction d’Antoine Porot, Paris P.U.F. 1952.
Indigènes Nord-Africains, Primitivisme, Noirs (Psychopathologie des), articles rédigés par Henri Aubin.
[11] Voir http://patrick.fermi.free.fr/esquis....
*******************